L’atome, illusion de la puissance
Aujourd'hui, quand on veut aller sur la lune, il ne suffit plus d'être poète, il faut être astronome.
Si François Hollande m'avait demandé ma vision de la défense de 2025, je me serais inspiré de ce que j'ai lu tout à l'heure dans les WC de l'autoroute : Accrochez-vous à la vie et pas au volant . Facile de transposer pour vous résumer un conseil du style :Accrochez-vous à la vie et pas à l'uranium enrichi !
Franchement, j’aurais préféré un titre du style faut-il achever l’économie de guerre ?
Ou bien : La guerre comme régulateur à la crise. Mais bon, comme je suis un bon élève, enfin, un élève appliqué, j’accepte ici de parler de l’intitulé, a priori un peu trop a-politique, a priori peu mobilisateur, a priori peu consensuel, en l’occurrence «Désarmons les premiers». Et je dis : «chiche» ! Je dis «chiche» car je pense — ce sur quoi je voudrais intervenir – que ce mot d’ordre pourrait induire une révolution dans la pensée. Or, ce qui m’importe et ce qui nous importe ici, c’est de savoir comment le désarmement peut s’inscrire dans une politique progressiste.
Cette révolution, je voudrais la décliner à 3 niveaux
1) Une autre vision de la politique internationale
2) Une autre vision de l’économie donc de la croissance
3) Une autre vision de la bombe …(des armes dénommées armes de destruction de masse ) et de la puissance en général
Pendant longtemps, on a dit et répété «ne désarmons pas tant que l’impérialisme yankee ne désarme pas. «On veut bien désarmer mais les conditions (objectives) ne sont pas réunies pour … «On voudrait bien mais…» Car il y a toujours un «mais» qui s’appelle rapport de force(s), qui s’appelle opportunité.…Comme dirait JL Mélenchon …
«on ne va entrer dans un processus de désarmement sauf à partir du moment où …» Je n’invente rien. Je cite une interview dans le magazine Planète Paix avant les présidentielles. Je lis : Notre programme se prononce pour un désarmement nucléaire multilatéral. Au fur et à mesure de la réduction des arsenaux, notamment des Etats-Unis et de la Russie, la France réduira le nombre de têtes nucléaires, en conformité avec leprincipe de la réciprocité (à souligner) qui guidera notre action. En l’état actuel, il ne serait pas raisonné d’entamer un désarmement unilatéral, et la dissuasion demeurera donc un élément essentiel de la stratégie de protection de la France(*).
Des initiatives unilatérales
Peut-on changer de logiciel ? Les raisons existent et j’en soulèverai deux :
a) La première raison, c’est que çà se pratique, dans beaucoup de circonstances et quel que soit le régime, quelle que soit la couleur politique de l’adepte momentané de l’unilatéralisme. L’histoire du désarmement, même de l’arms control (maitrise de l’armement du temps de la Guerre Froide, diplomatie atomique menée en tandem par les deux poids lourds du Conseil de l’Insécurité) est séquencée par des initiatives unilatérales. A tort ou à raison. Prenons Gorbatchev, le retrait d’armes nucléaires tactiques en Europe de l’Est, c’est lui et sans contrepartie d’ailleurs. Prenons la France. Que je sache, c’est de façon unilatérale que le président Chirac a décidé de mettre la clef sous la porte du plateau d’Albion, de faire démonter les missiles SSBS qui avaient été enterrés…et sans attendre un geste réciproque de qui que ce soit. Pareil pour les missiles Hadès Sans contre partie. Si ce n’est celui de se faire remercier par les Allemands qui ne voulaient pas se les prendre sur la figure. On peut déplorer qu’un stratège ne sache pas monnayer son désarmement, mais bon, tels sont les faits.
Concernant les essais nucléaires, Chirac a décidé un beau matin de fermer les sites, ce qu’il n’était pas obligé de faire puisque les autres puissances nucléaires ne l’ont pas fait. Aujourd’hui, ce geste u-ni-la-té-ral est critiqué et certains se plaignent ou se sont plaints que l’initiative ne soit pas réversible puisque les Chinois n’ont pas fermé Lop Nor, Washington n’a pas fermé son site du Nevada et les Russes disposent de Novaya Zemlya.
( Il serait d’ailleurs grand temps de faire la liste de ces initiatives, nous y reviendrons).
b)La deuxième raison, en faveur de l’unilatéralisme, c’est que l’institution militaire est en crise, elle aussi. Grippée par le manque de sous et par la fin du service militaire et par l’intégration dans l’OTAN et la tentation de la privatisation. Je dis «aussi» car je pense à l’institution pénitenciaire dans la mesure où les prisons sont plutôt des universités du crime. Je pense à l’institution universitaire à une époque où ces centres sont des boîtes à héberger des chômeurs et fabriquer des illettrés. Selon cette même logique, l’institution qu’est la défense (avant, nous avions un ministère «de la guerre», c’était plus direct, plus cash), produit de l’insécurité. A tel point que le citoyen lambda des Etats-Unis peut légitimement considérer que le Pentagone est, de son point de vue, la pire des menaces à sa sécurité !
- Pour un transfert des dépenses militaires vers les budgets à finalité sociale , c’est possible ! Ce serait une transition, non pas une transition énergétique (très à la mode), mais une transition stratégique.
Certes, vous en conviendriez, passer d’une économie militarisée à autre chose ne sera pas un long fleuve tranquille. Il s’agirait de sortir d’un certain modèle de développement, ce qu’on appelle outre-Atlantique le Keynesianisme militaire. On arrêterait le productivisme militaire, on arrêterait de concevoir des nouvelles générations de missiles. Imaginer autre chose que la guerre comme recours (sic) à notre portée pour réduire la disproportion entre la croissance démographique et les limites des ressources disponibles. Pour l’instant, le remède, on le connaît, on l’a vu à l’œuvre, disons, avec les recettes un peu classiques : faire de la place, vider les stocks, épurer les arsenaux, mettre les travailleurs au pas et puis après avoir pratiqué la destruction à grande échelle, faire remarcher la planche à billets, donner à bouffer aux survivants, tendre vers la croissance , une croissance qui sera nécessaire, à défaut d’être glorieuse (sic) comme les trente années de l’après-guerre.
Signe des temps : le Livre Blanc évoque le concept de «guerres obligatoires» .…
Via des programmes de Désarmement, Il s’agirait de sortir d’une certaine logique qu’impose le complexe militaro-industriel. Ou le complexe scientifico-militaro-industriel. Il s’agirait par la même occasion de faire ce qu’on n’a pas réussi à faire depuis 40 ans, depuis le fameux Appel du Club de Rome : le halte à la croissance militaire !
On définirait avec intelligence, avec les principaux concernés un seuil de suffisance du matos, en déterminant un seuil des dispositifs sécuritaires.
C’est possible de faire marcher l’économie avec du désarmement. C’est possible de faire en sorte que l» industrie du désarmement produise davantage d’emplois que tous les projets d’armement . Prenez par exemple leprogramme Mégatonnes pour Mégawatts. Ca marche. Même s’il est prévu que çà s’arrête en 2013. Avec cette initiative conjointe russo-américaine qui date de 1993 ou 1994, 40 % de la consommation électrique des Américains provient des têtes, des ogives nucléaires russes dont l’uranium, enrichi à 90%, à été appauvri sur place puis revendu à une société américaine. La conversion et la dilution de l’uranium hautement enrichi (UHE, çà se dit comme çà) se font en Russie et l’UFE (uranium faiblement enrichi) en résultant est expédié aux installations de l» United States Enrichment Corporation ou USEC aux États-Unis, où il est transformé en combustible pour réacteurs. (civils). L’USEC ou faisait partie du ministère de l’énergie (DOE) avant d’être privatisée en 1998. Vous n’êtes peut-être pas des promoteurs de l’énergie nucléaire, moi non plus, vous n’êtes pas un adepte du slogan de Lénine le communisme c’est les soviets + l’électricité, mais voici une méthode qui a fait ses preuves et qui a permis de se débarrasser d’un stock de matières fissiles russes incroyable.
- On peut aussi penser plus loin, à l’heure de la taxe carbone. Pourquoi pas une taxation sur les armes ? Mélenchon n’est pas convaincu mais cela peut aller plus loin que celle sur les billets d’avions – qui concerne que quelques pays – et ainsi disposer d’un fonds commun pour initier d’autres entreprises pacifiques. D’ailleurs, même si la plupart d’entre nous n’étaient pas nés dans les années 50, le passé peut nous inspirer. A l’Assemblée Générale de l’ONU, Edgar Faure.…avait proposé que chaque Etat dédie un pourcentage de son budget d’armement à un fonds pour aider ceux qu’on appelait alors les sous-développés. Puisque nous sommes en voie de sous-développement, et que la bombe ne semble pas avoir contribué à développer ce qu’il importe somme toute de développer, c’est le moment ou jamais de reprendre et d’adapter ce genre d’initiatives – quitte à le faire, une fois de plus — chiche ! — de façon u-ni-la-té-rale.
La bombe est l’illusion de la puissance, La bombe n’est plus un atout, la bombe est un fardeau et une puissance moyenne comme la France – qui a de la peine à être à la hauteur de ses ambitions stratégiques, et bien, elle s’épuise. Les écolos parlent beaucoup de l’épuisement des ressources. Ici, il s’agit de l’épuisement de la puissance France. La quête de la bombe est un aveu d’impuissance.
Faut donc arrêter de nous faire peur, de se faire peur. A partir d’une autre perception, il sera possible de voir qu’il n’y a aucune faiblesse dans le fait de se priver d’un atout qui n’en est pas un.
1. Tout d’abord, et quoi qu’en pense mon ami Jacques Fath, les armes nucléaires en veille, ont produit des victimes. D’ailleurs, ironie de l’histoire, les principales victimes se comptent dans son propre camp et non pas dans le camp adverse. Comme dirait la SNCF «un train peut en cacher un autre «…Faut dire que c’est un peu gênant pour une arme, carrément contre-productif quand on se rend compte qu’elle provoque le contraire de ce qu’elle est supposée provoquer. Que la force de frappe …frappe ailleurs, qu’elle frappe à côté…Le frappeur pris à son propre piège ! Cela paraît anodin, mais attention, C’est le tampon de l’absurde, c’est la marque de l’impuissance. La bombe A ou H, arme de destruction de masse, (ADM) ou (plutôt) arme de destruction sociale, (ADS), fait plus de torts à celui qui s’en réclame, à l’Etat qui la détient qu’à ce terrifiant ennemi qu’on veut dégommer pour avoir osé porter atteinte à des intérêts vitaux qu’on ne peut pas ou veut pas définir !.(oui, faudra un jour sérieusement comptabiliser les victimes des armées en temps de paix, c’est une autre histoire .…et les dédommager).
2 — Prenons un exemple pour illustrer combien la bombe non seulement nous encombre, mais nous plombe : Israël. Une puissance nucléaire. Plus exactement : une caricature de puissance nucléaire de notre époque. Israël dispose de missiles (Jéricho grâce à la compassion de socialistes de la IVème République), on en compterait 200, des sous-marins lanceurs de toutes sortes d’engins…Israël c’est un budget militaire qui représente plus de 6% du PNB. Mais c’est aussi un Etat incapable de faire face à une petite menace comme un incendie de forêt car il n’a pas prévu de se doter de Canadairs et ne dispose que de 1200 pompiers, les autres militaires étant mobilisés pour mater du Palestinien !
Voilà. Je voudrais finir en disant qu’il y a du pain sur la planche…pour faire avancer ces idées, pour démystifier la bombe. Les travaillistes britanniques – ce ne sont pas des gauchistes – ont entrepris une partie de ce travail dès les années 80. Une étude sur le thème comment la Grande-Bretagne pourrait se défendre sans la bombe a été menée. Elle a été publiée avec des scenarios, des estimations chiffrées, des considérations politiques par rapport à l’OTAN, etc.
Nous, Yes we can, on peut le faire aussi. On devrait le faire. Pour que tout le monde s’approprie ce débat, évidemment. Pour qu’on puisse débattre, donc au préalable apprécier, évaluer les coûts et les désavantages de l’arsenal français et de ses retombées.
Pour effectuer un travail de la sorte, rien ne devrait nous interdire de disposer d’un think tank – excusez l’anglicisme ! — enfin une boîte à idées, un réservoir des cerveaux .…un centre de réflexion pour faire de la prospective, pour «déplacer les curseurs», comme on dit en langage informatique, pour montrer ou démontrer que la bombe est une illusion de puissance.
B.C. Intervention du 24 août 2013, Grenoble – Estivales FG