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Solidarités Contre l'Université de la Défense (SCUD)
25 juin 2014

Les zones économiques exclusives ultramarines : le moment de vérité (rapport de l'opecst )

9 avril 2014 : Par MM. Jean­Étienne ANTOINETTE, Joël GUERRIAU et Richard TUHEIAVA

au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre­mer

 

INTRODUCTION

Le 21e siècle qui commence hérite d'une révolution silencieuse intervenue à la fin du siècle

précédent dans la délimitation des espaces maritimes de la planète.

En quelques décennies, l'emprise des États côtiers est en effet passée de 3 milles marins (la portée

de canon) aux 200 milles1(*) de la zone économique exclusive (ZEE), voire à 350 milles pour ce

qui est de leur droit exclusif à exploiter certaines ressources2(*) ! Alors que cette territorialisation

de la mer3(*) est longtemps restée l'affaire des chercheurs et des spécialistes du droit maritime, la

convention de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur en 1994, constitue

bien un bouleversement majeur qui redistribue les cartes de l'accès à de gigantesques potentiels

pour les États côtiers conscients de cette chance et prêts à s'en saisir.

Grâce à ses outre­mer, la France est l'un des pays, sinon le pays le plus concerné par cette

révolution du partage des océans. Sa ZEE est en effet la deuxième par son étendue derrière celle

des États­Unis4(*) et, de loin, la plus diversifiée. Occupant les deux hémisphères et tous les

azimuts, la ZEE française est la seule sur laquelle le soleil ne se couche jamais.

Ni encore véritablement connu, ni exploité, le potentiel des océans est une des réponses aux enjeux

cruciaux auxquels l'humanité va être confrontée. Alors que le nombre des habitants de la planète

bleue devrait avoisiner les 10 milliards en 20505(*), les ZEE sont des réservoirs d'alimentation,

notamment par la pêche, mais aussi pleines de promesses pour la santé et la recherche médicale.

C'est en mer que l'on espère trouver une partie des protéines alimentaires ou encore des molécules

qui permettront par exemple de lutter contre le cancer ou la maladie d'Alzheimer. Les espoirs des

chercheurs en la matière sont considérables.

Le défi énergétique ne sera pas non plus relevé sans la mer qui est elle­même source d'énergies

renouvelables ­ éoliennes of shore, énergie thermique, biocarburants à base d'algues, énergie des

courants, des marées ou de la houle ­ tandis que ses fonds ouvrent l'accès à de nouvelles ressources

énergétiques fossiles et à des métaux stratégiques dont la pénurie est annoncée. À observer la

façon dont la course à l'accès aux profondeurs s'est accélérée, nul doute que la prospection,

l'exploration, l'exploitation ainsi que la protection des fonds marins font des ZEE un terrain

privilégié pour la recherche et le développement des technologies de pointe, à l'image de la

conquête spatiale et de ses retombées.

Les ZEE confortent les grands États maritimes dans leurs positions sur les principaux axes de

communication et dans la maîtrise des routes commerciales. Leur souveraineté, et leur rôle dans

l'application du droit international, la gouvernance des océans et la préservation de

l'environnement et de la biodiversité s'en trouvent aussi directement renforcés6(*). Les ZEE

donnent l'opportunité de définir de nouveaux modèles de gouvernance et de développement

économique durables qui, dans le cas de la France, s'appuieront nécessairement sur le

développement des collectivités ultramarines.

L'espoir s'est longtemps cantonné aux fameux nodules polymétalliques découverts à la fin des

années 60 qui avaient suscité un formidable engouement. Mais faute de se concrétiser, cet espoir

s'est commué en un certain scepticisme. Or, les fameux nodules ne représentent qu'une partie du

potentiel minéral des océans et, surtout, le cadre international assurant des droits souverains et

donc des retours d'investissement sur l'exploitation des ressources est entré en application il y a

seulement vingt ans.

Entre­temps, l'envolée des cours des matières premières ainsi que la nécessité de diversifier les

approvisionnements ont ouvert la voie à une course aux nouveaux gisements, à terre comme en

mer. Le coût d'extraction des minéraux des fonds marins est encore de 4 à 5 fois supérieur celui

des minéraux du sous­sol terrestre7(*), mais l'écart est appelé à se réduire sous le double effet de

l'épuisement des ressources et des progrès extrêmement rapides des technologies. Parallèlement,

les outre­mer ont connu une diversification statutaire notoire allant de pair avec une aspiration à

des chemins de développement misant davantage sur leurs atouts spécifiques. Si l'on y ajoute

l'accélération des recherches et des évolutions technologiques ainsi que l'intensification de la

compétition entre les États, force est de constater qu'en une décennie la donne a complètement

changé.

Il est grand temps pour la France, ses outre­mer et l'Europe de s'engager à la hauteur des enjeux.

Les annonces fortes faites par le Gouvernement en décembre 20138(*) confirment la prise de

conscience constatée ces dernières années ; mais pour leur concrétisation, l'heure est venue de

passer du discours aux actes et une mobilisation de l'ensemble des acteurs est plus que jamais

urgente.

I. LES ZEE ULTRAMARINES OFFRENT À LA FRANCE, À SES OUTRE­MER

ET À L'EUROPE DES GISEMENTS D'OPPORTUNITÉS POUR

AUJOURD'HUI ET POUR DEMAIN

Les ZEE sont traditionnellement synonymes d'accès aux ressources minières et énergétiques sous-
marines tant il est vrai que la chance qu'elles représentent pour la croissance et le développement

économique est indéniable, en particulier pour les territoires ultramarins.

Mais dans ces espaces se jouent aussi la réaffirmation de la place de l'outre­mer français ainsi que

l'influence de la France et de l'Europe dans la gouvernance du monde du XXIe siècle.

A. LES ZEE ULTRAMARINES, VECTEUR DE DÉVELOPPEMENT POUR L'OUTRE-
MER ET ATOUT STRATÉGIQUE À L'HEURE DE LA MONDIALISATION

97 % de la ZEE française étant liée à l'outre­mer9(*), celui­ci est le premier concerné par la

valorisation de cet immense territoire maritime. L'enjeu géopolitique et économique et aussi

considérable aux plans national comme européen. Les ZEE présentent ainsi des opportunités

majeures pour les outre­mer, la France et l'Europe dans un siècle mondialisé.

1. Les ZEE, une chance considérable pour les outre­mer, la France mais aussi l'Europe

L'idée est aujourd'hui largement acquise que les 11 millions de km2 de zones économiques

exclusives et leurs ressources potentielles constituent une chance pour la France et pour l'Europe

dans la compétition économique et sur la scène internationale. Elle l'est aussi, en tout premier lieu,

pour les territoires ultramarins dont l'avenir est le plus directement lié à celui des ZEE.

a) Un tremplin vers un nouveau modèle de développement des outre­mer

(1) Une réponse aux besoins et aux aspirations locales

Les ZEE ultramarines représentent des opportunités sans égale pour les territoires qu'elles

bordent. Cela est vrai pour l'ensemble des collectivités insulaires des trois océans comme pour la

Guyane qui accueille depuis 2012 des opérations d'exploration pétrolière of shore.

Les eaux et les fonds marins recèlent des ressources extrêmement variées qui, au­delà de la

richesse économique potentielle qu'elles représentent, peuvent répondre directement à certains

besoins des territoires concernés. Alors que l'approvisionnement énergétique des territoires

ultramarins, non connectés aux grands réseaux continentaux, dépend très largement des

importations de pétrole, la ZEE représente un réservoir considérable d'énergies marines

renouvelables et même, une source de biocarburants grâce aux micros algues marines.

La ZEE offre des perspectives de développement au secteur de la pêche et de l'aquaculture alors

que les Antilles importent aujourd'hui environ un tiers de leur consommation de poissons. De

même, dans des économies traditionnellement centrées sur l'agriculture, l'artisanat et les services,

elle permet d'envisager la création de filières industrielles.

Le potentiel économique des ZEE peut aussi contribuer à répondre à un fort besoin de

développement reflété, dans tous les territoires, par un revenu moyen et un taux d'emploi

sensiblement inférieurs à la moyenne nationale. En outre, le dynamisme de la démographie dans

certaines collectivités telles que la Guyane et Mayotte et la situation d'ensemble de la jeunesse

commandent d'exploiter ces gisements virtuels d'activité et d'ouvrir des perspectives d'avenir.

(2) De nouvelles voies à tracer

La situation préoccupante des outre­mer confirme la nécessité d'un développement à même

d'irriguer de larges segments de l'économie pour un meilleur taux d'emploi de la population. Le

temps n'est plus en effet où l'exploitation de certains intérêts ou de certaines ressources

stratégiques aboutissait à l'implantation de poches de compétitivité limitées à un secteur

économique ou une zone géographique déterminée, parfois à l'origine d'une économie de rente et,

dans tous les cas, échappant à la maîtrise de la société et des acteurs locaux tout en étouffant les

ressorts du développement local. Il est temps pour l'outre­mer de se dégager du poids du passé en

sortant de ce cercle vicieux créé par une relation exclusive et asymétrique avec l'hexagone. En

Guyane, la comparaison entre l'installation du centre spatial européen à Kourou après la perte du

site de lancement du Sahara algérien en 1962 et la conduite actuelle du projet d'exploration

pétrolière en concertation étroite avec l'ensemble des parties prenantes et des élus particulièrement

vigilants atteste du changement d'époque. La préoccupation des retombées locales constitue un

élément à part entière du second projet. Les ZEE offrent une chance inégalée d'accélérer cette

évolution.

Le nouveau modèle accompagnera nécessairement l'aspiration qui, parallèlement aux évolutions

statutaires, s'exprime en faveur d'un développement plus autonome, fondé sur les atouts

spécifiques de chaque territoire. À l'image des ressources de la mer et de son sous­sol, les

activités liées à la ZEE sont extrêmement diverses et, pour la plupart, innovantes comme en

témoigne le nombre d'initiatives et de projets actuellement encore en phase

d'expérimentation10(*). Le pilotage de leurs développements ne pourra donc être centralisé et

suppose au contraire une interaction entre l'ensemble des parties prenantes.

Des très grands groupes nationaux (par exemple très présents dans le secteur de l'énergie) aux très

petites entreprises artisanales qui dominent la plupart des secteurs, à l'instar de la pêche, l'un des

enjeux sera de faire émerger un tissu de PME structuré en véritables filières économiques.

Le développement lié aux ZEE devra aussi répondre aux exigences de plus en plus fortes de la

société en matière environnementale. Les nouvelles activités tirent leur substance de la mer, milieu

particulièrement généreux en termes de biodiversité mais aussi éminemment fragile pour les

mêmes raisons. Entre l'exploitation de la nature au mépris de l'environnement ou de la santé

et la « mise sous cloche » des outre­mer, un chemin doit être trouvé. La capacité à définir une

croissance durable et raisonnée constitue d'ailleurs un élément essentiel de l'exemplarité qui doit

être celle de la deuxième ZEE mondiale au moment où les perspectives prometteuse de l'or bleu

pour le XXIe siècle attisent partout les convoitises et une course effrénée aux richesses qui n'est

pas sans risque pour la planète.

Face à l'importance des enjeux, les ultramarins sont donc appelés à penser leur avenir dans un

territoire dont l'horizon s'est désormais élargi bien au­delà des côtes. Pour certains, l'atout des ZEE

invite à porter un nouveau regard sur la mer, traditionnellement synonyme de dangers ou témoin

d'une histoire complexe voire douloureuse. Ils sont appelés à imaginer et à promouvoir de

nouvelles approches résolument tournées vers l'avenir, de même que le regard porté par l'hexagone

et l'Europe doit lui aussi évoluer.

b) Une chance pour la France dans son ensemble

(1) Un nouveau regard sur l'outre­mer

Les outre­mer constituent l'une des spécificités les plus marquantes de notre pays pour qui

observe le globe ou parcourt le monde. La France des quatre océans constitue en soi une réalité

humaine, sociale et culturelle sans équivalent de 2 700 000 personnes lorsque l'Angleterre, hier

maîtresse des mers, n'a conservé dans son giron que quelques chapelets d'îles dont une seule (les

Bermudes) excède les 60 000 habitants11(*).

Force est pourtant de constater que l'ensemble des Français n'est pas toujours conscient de cette

chance à l'heure de la mondialisation. Selon certains observateurs, l'outre­mer français serait même

un « empire oublié »12(*), « d'une négation inconsciente (...) ou d'une réduction de notre horizon

aux limites de l'hexagone »13(*). Ces territoires sont souvent mal connus et réduits à des clichés

tandis que le nouveau contexte créé par l'émergence des ZEE accroît encore le fossé entre ces

représentations et la réalité. Ces clichés, tournés vers le passé, tendent à confiner les outre­mer

dans une relation exclusive avec l'hexagone et à pérenniser des déséquilibres qui contribuent à

isoler ces territoires de leur voisinage régional. Leurs économies en portent les stigmates.

Ainsi, l'écho de l'expression « confettis de l'Empire » résonne encore parfois, désignant les outre-
mer comme dépourvus de consistance ou ne disposant pas de la taille critique pour jouer un rôle

autonome.

Or, tout indique que c'est dans les eaux qui bordent les territoires ultramarins que se trouvent bon

nombre de réponses aux enjeux du présent et du futur. En outre, les presque 11 millions de km2 de

ZEE représentent 15 fois la totalité des espaces terrestres français de l'hexagone et d`outre-
mer14(*) !

Ce poids conforte incontestablement la position de la France au coeur des configurations

stratégiques des différentes régions du globe : le Pacifique, la Caraïbe, l'océan Indien ou encore

l'Antarctique15(*). Voyant l'étendue de ses intérêts reconnus par la communauté internationale, la

France a les attributs d'un grand pays riverain :

­ tant dans la Caraïbe au moment où les États­Unis amorcent un basculement de leurs priorités

vers le Pacifique16(*) et l'Asie ;

­ que dans l'océan Pacifique, nouveau centre de gravité de l'économie mondiale ;

­ et dans l'océan Indien, proche de la grande route maritime du canal du Mozambique où la

présence française est à la fois un élément de stabilité17(*) et objet de convoitise18(*).

L'importance de notre ZEE invite à porter sur les outre­mer un nouveau regard. D'autant que,

parallèlement, la globalisation économique s'accompagne d'une maritimisation du monde.

(2) Les ZEE ultramarines au coeur des enjeux de la maritimisation du monde

Comme le soulignaient nos collègues MM. Jeanny Lorgeoux et André Trillard19(*), « on assiste

aujourd'hui avec la mondialisation et la raréfaction des ressources terrestres à une transformation

de la géopolitique des océans ». La mer est au coeur de la mondialisation. C'est au travers des

océans que se constituent les grands axes de circulation des richesses ­ 90 % des marchandises sont

transportées par bateaux ­ et des communications ­ sans les réseaux de câbles et fibres optiques qui

tapissent le fond des mers, le coût des communications internationales serait prohibitif et l'internet

n'existerait pas.

Quant à l'intérêt pour les ressources des océans et des fonds marins, il ne cesse de se renforcer,

lorsque l'on sait que 70 % de la population mondiale vit désormais à moins de 500 kilomètres de la

mer. La capacité pour les États de peser et d'intervenir sur ce qui se joue en mer, d'en saisir les

opportunités et d'en déjouer les menaces devient un élément déterminant de leur sécurité et de leur

prospérité sur la scène mondiale.

C'est dans ce contexte qu'apparaissent des enjeux géopolitiques nouveaux. Le plus spectaculaire

concerne sans doute l'Arctique où le réchauffement climatique fait espérer l'ouverture de nouvelles

routes commerciales entre le Pacifique et l'Atlantique tandis que la zone recèlerait 30 % des

réserves mondiales en hydrocarbures ainsi que d'importantes ressources minières (or,

diamants, uranium, zinc et plomb) et halieutiques. Aussi, les États riverains commencent­ils à se

positionner d'ores et déjà pour asseoir la légitimité de leur contrôle sur les abords des nouvelles

routes. Le Canada rappelle que sa souveraineté dans l'Arctique est indivisible, alors que les États-
Unis et l'Union européenne estiment que le passage du nord­ouest fait partie des eaux

internationales communes, comme ils l'ont rappelé au sommet de Montevideo en 2007. Quant à la

route du nord, qui fait déjà l'objet d'une exploitation commerciale par des entreprises allemandes et

russes, elle est également l'objet de discussions similaires, la Russie estimant que les passages sont

des parties intégrantes de ses eaux territoriales.

Plus proche des ZEE françaises, c'est dans le même contexte que s'inscrit le regain de tensions

autour des Îles Éparses françaises dans l'océan Indien ou entre notre pays et le Canada à propos

de l'extension du plateau continental autour de Saint­Pierre­et­Miquelon, ces deux régions

étant estimées riches en réserves pétrolières.

Ces enjeux ne peuvent être indifférents à l'Europe, première puissance commerciale mondiale,

elle­même présente sur tous les océans à travers les outre­mer de ses États­membres, et en premier

lieu la France.

c) Une chance pour l'Europe dont la France doit faire la promotion

(1) Les outre­mer français : l'incarnation d'une présence européenne planétaire

La France n'est pas le seul pays de l'Union européenne à disposer de territoires ultramarins. Ces

derniers sont en effet au nombre de 28 dépendant de six États membres et répartis en deux statuts :

8 régions ultrapériphériques (RUP)20(*), partie intégrante du territoire de l'Union européenne et

20 pays et territoires d'outre­mer (PTOM), entités non indépendantes rattachées à un État

membre21(*).

Néanmoins, par leurs caractéristiques spécifiques, les outre­mer français apportent à

l'Europe une chance d'ouverture inégalée sur le monde. Les Antilles et la Guyane22(*),

projettent véritablement d'Europe en Amérique tandis que les Canaries (espagnoles), Madère et les

Açores (portugaises) sont géographiquement beaucoup plus proches du Vieux continent dont elles

apparaissent comme le prolongement. Quant aux quelques territoires anglais et néerlandais de la

Caraïbe, ils sont beaucoup plus disséminés23(*), deux fois moins peuplés et beaucoup moins liés à

leurs « métropoles » européennes que ne le sont nos départements d'outre­mer. L'une des

spécificités de l'outre­mer français dans sa diversité ­ y compris des trajectoires statutaires ­ est en

effet de conserver un lien particulièrement fort avec l'hexagone.

Quant aux territoires français de l'océan Indien et du Pacifique, ils assurent à l'Europe une présence

dans des régions « éloignées de son océan naturel », dont elle serait sinon absente24(*). Certes,

l'outre­mer français du Pacifique, qui représente 80 % de notre ZEE, est constitué de PTOM qui ne

font pas juridiquement partie de l'Union européenne. Toutefois, il n'en assure pas moins une forme

de présence de l'Europe dans une région de plus en plus stratégique.

Certes, comme le notait le rapport de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des

forces armées, « l'étendue de la ZEE (...) n'est pas un facteur d'ambition politique mais seulement

un moyen qui peut être mis au service de cette dernière »25(*). Ainsi, l'outre­mer français

constitue un atout à la disposition d'une Europe qui souhaiterait promouvoir, au nord comme au

sud, un modèle fondé sur l'économie de la connaissance (recherche, technologies de pointe) et le

développement durable (préservation de la biodiversité, utilisation des nouvelles formes d'énergie),

principaux objectifs fixés il n'y a pas encore si longtemps à L'Europe par la stratégie de Lisbonne.

(2) Vers une meilleure prise de conscience au niveau européen

Au­delà du rayonnement d'un modèle ou d'un message, l'Union européenne a aussi des intérêts à

défendre. Certes, il n'existe pas de « ZEE de l'Union européenne » à proprement parler puisque les

droits exclusifs ne sont reconnus qu'aux États côtiers, à la différence d'un seul domaine de

compétence partagé, celui de la pêche26(*).

La première puissance commerciale de la planète ne peut cependant être indifférente à la nouvelle

géographie des océans produite par le droit international et par la mondialisation économique. À

l'inverse, elle peut trouver dans les ZEE des réponses à des difficultés déjà prévisibles, comme les

pénuries aujourd'hui annoncées de métaux stratégiques. Comment ne pas rapprocher les résultats

du rapport du centre commun de recherche européen (dépendant de la Commission) rendu le

4 novembre 201327(*) et pointant un « risque critique » de déficit pour huit métaux

indispensables, dont en premier lieu le dysprosium28(*), et l'étude japonaise de 2011 indiquant

que ce métal se trouverait en abondance dans des gisements économiquement exploitables situés

dans la ZEE polynésienne29(*) ?

La prise de conscience par Bruxelles du rôle des ZEE devrait aussi profiter aux territoires

ultramarins dès lors qu'ils seront reconnus comme les points d'ancrage naturels de toute stratégie

d'accès aux nouvelles opportunités. Accompagner les territoires ultramarins dans ce rôle suppose

un renforcement du lien qu'ils entretiennent avec leur ZEE. Or, pour l'heure, la vision

européenne semble davantage dominée par un souci d'ouverture au libre­échange et à la

coopération avec l'ensemble des pays du sud que par celle d'affirmer la présence des territoires

spécifiques de l'outre­mer européen dans les différentes régions du globe.

Ainsi en est­il par exemple de la politique commune de la pêche (PCP) comme le relevait un

rapport de 2012 de la commission des affaires économiques30(*). Non seulement la PCP applique

de façon généralisée une politique de limitation de la production31(*) peu adaptée à l'outre­mer

qui l'empêche de saisir les opportunités de développement32(*), mais la politique européenne

favorise directement ses concurrents.

D'une part, dans le cadre du volet externe de la PCP, l'Union européenne conclut des accords de

partenariat en matière de pêche (APP) avec des pays d'Afrique et du Pacifique voisins de nos RUP

ou PTOM. En mai 2012, l'UE a ainsi conclu avec Madagascar un APP prévoyant, outre le

versement de 975 000 € par an au titre du droit d'accès des navires de l'UE aux zones de pêche

malgaches, l'attribution de 550 000 € par an de subventions au développement alors qu'elle proscrit

toute aide publique à la construction de navires à La Réunion et à Mayotte. Certes, le Conseil des

ministres de l'Union européenne a perçu cette incohérence entre les volets interne et externe de la

PCP33(*), mais les contradictions demeurent.

D'autre part, les accords de partenariat économique (APE) conclus avec les pays d'Afrique, de

la Caraïbe et du Pacifique (ACP) posent des problèmes du même ordre puisque ces pays

bénéficient de coûts de production très inférieurs et ne sont pas soumis aux normes européennes

alors même que, par exemple à La Réunion, « les contraintes nationales ou communautaires

surenchérissent de quatre à cinq fois les coûts de production et de commercialisation des

entreprises réunionnaises par rapport à leurs concurrents des États tiers »34(*). Ces accords

menacent également la pêche des pays et territoires d'outre­mer (PTOM) français. En effet si les

collectivités ultramarines du Pacifique ne sont pas territoires de l'Union européenne et ne relèvent

donc pas de la PCP, elles sont cependant incluses dans le marché communautaire en tant que partie

intégrante du territoire national. Leur pêche subit donc la concurrence des pays voisins qui ont

conclu des APE avec l'UE. Malgré leur potentiel halieutique exceptionnel, ces collectivités

approvisionnent ainsi faiblement le marché européen (seulement 1 000 tonnes par an), alors que,

grâce aux APE qu'ils ont conclu, Fidji et la Papouasie­Nouvelle­Guinée, exportent près de

400 000 tonnes par an vers l'Europe.

En 2012, notre collègue Serge Larcher relevait aussi que l'accord envisagé entre l'UE et le Canada

pourrait avoir des effets très négatifs sur le secteur de la pêche à Saint­Pierre­et­Miquelon.

L'entente de principe annoncée le 18 octobre 2013 par le Premier ministre Stephen Harper et le

Président José Manuel Barroso en vue de l'Accord économique et commercial global (AECG) ne

fait que confirmer ces inquiétudes.

La nécessité pour l'Europe de prendre mieux en compte les différences entre les PTOM et les

pays tiers ne se limite bien entendu pas au domaine de la pêche. Par exemple, si l'exploitation et

l'exploration des ressources des fonds marins de la ZEE entourant la Polynésie français relèvent de

la compétence de cette collectivité et non du code minier national, ces ressources ne sont toutefois

pas sans lien avec les intérêts européens. En effet, la surveillance et la sécurisation de la zone

relèvent aujourd'hui de la marine nationale et l'expertise nécessaire aux demandes d'extension du

plateau continental polynésien relève de la compétence du Service hydrographique et

océanographique de la marine (SHOM) tandis que l'Institut français de recherche pour

l'exploitation de la mer (IFREMER), acteur naturel sur ce territoire en matière d'exploration des

ressources, est lui aussi un établissement public national. Cette observation peut également

aujourd'hui être faite pour la Nouvelle­Calédonie alors même que cette dernière est désormais

compétente y compris en matière de matériaux stratégiques35(*). Pourtant l'Europe aborde

traditionnellement les PTOM comme des territoires concernés par sa politique de coopération de

développement, les rangeant en cela dans le même chapitre du traité que les États du sud.

Dans le nouveau contexte géostratégique des océans, la France ne doit donc pas seulement

changer son regard sur la place des outre­mer, elle doit aussi contribuer à faire évoluer celui

des institutions européennes. Autant elle peut, sur nombre de problématiques ultramarines,

engager des démarches concertées avec d'autres États européens sensibles à ces questions, autant

notre pays devra d'abord compter ici sur ses propres forces car l'essentiel de sa ZEE se situe autour

des PTOM du Pacifique. Si la France n'en souligne pas l'importance à Bruxelles, qui d'autre le

fera ? L'importance stratégique de notre ZEE réside enfin dans l'opportunité nouvelle de jouer un

rôle pionnier dans la gouvernance mondiale qui se met en place.

* 1 Soit 370,4 kilomètres (1 mille marin étant égal à 1,852 mètre).

* 2 Dans le cas particulier où les États ont obtenu l'extension maximale de leur « plateau

continental ».

* 3 Cf. annexe 1.

* 4 Et devant celle de l'Australie.

* 5 9,731 milliards selon l'étude biannuelle de l'Institut national d'études démographiques (INED)

publiée le 2 octobre 2013.

* 6 Bien que l'essentiel des ZEE soient situées au­delà des eaux territoriales (12 milles des côtes)

et de leur zone contiguë (24 milles), les États y exercent des droits souverains en matière

d'exploitation et de gestion des ressources ainsi que d'organisation et de protection du milieu.

* 7 Rapport « Un principe et sept ambitions » de la commission Innovation 2030 présidée par

Mme Anne Lauvergeon, remis au président de la République le 18 avril 2013.

* 8 Par le Premier ministre, le mardi 3 décembre lors des 9e Assises de l'économie maritime et du

littoral.

* 9 Cf. annexe 3.

* 10 Que ce soit dans le domaine énergétique et minier ou celui de l'exploitation des algues.

* 11 64 806 en 2012.

* 12 France­sur­mer, un Empire oublié, Philippe Folliot et Xavier Louy, Éditions du Rocher,

2009.

* 13 Ibid, p. 16.

* 14 Cf. annexe 3.

* 15 Bien qu'aucune ZEE stricto sensu ne soit revendiquée autour de la Terre Adélie, le territoire

étant régi par le Traité de 1959 sur l'Antarctique.

* 16 Selon la politique dite du « pivot » initiée par le Président Obama.

* 17 Comme en témoigne son rôle d'arbitre lors des événements aux Comores en 2003 et en 2008,

et à Madagascar depuis 2009.

* 18 Notamment s'agissant de sa ZEE autour des Îles Éparses en raison de la présence potentielle

de ressources pétrolières et gazières.

* 19 Dans leur rapport d'information Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des

océans n° 674 (2011­2012) fait au nom de la commission des af aires étrangères et de la défense

du Sénat et déposé le 17 juillet 2012.

* 20 Dont Mayotte, depuis le 1er janvier 2014.

* 21 Cf. annexe 4.

* 22 Les RUP de Guadeloupe, Guyane, Martinique et Saint­Martin et le PTOM de Saint-
Barthélemy.

* 23 500 000 habitants répartis entre dix PTOM contre plus d'un million pour les collectivités

françaises de la région.

* 24 Dans l'océan Indien, l'archipel britannique des Chagos est peuplé de 4 000 habitants et se

limite pour l'essentiel à la base militaire sur Diego Garcia loué aux États­Unis jusqu'en 2016 ;

l'archipel est en outre revendiqué par Maurice et les Seychelles. Quant aux îles Pitcairn, dernier

territoire britannique du Pacifique, elles ne comptent qu'une cinquantaine d'habitants !

* 25 Ibid. Rapport d'information « Maritimisation : la France face à la nouvelle géopolitique des

océans ».

* 26 La ZEE qui entoure un territoire européen est ainsi ouverte de droit à la pêche à l'ensemble

des européens alors que le droit d'exploration et d'exploitation des autres ressources ne relève que

de cet État dans le cadre défini par la convention de Montego Bay.

* 27 http://ec.europa.eu/dgs/jrc/index.cfm?

id=1410&obj_id=18230&dt_code=NWS&lang=en&ori=MOR.

* 28 Principalement utilisé pour fabriquer les aimants des génératrices éoliennes et des moteurs

des véhicules hybrides et électriques et dont l'Europe devrait représenter 25 % des besoins

mondiaux d'ici 2020­2030.

* 29 Article de la revue scientifique britannique Nature Géoscience du 4 juillet 2011 publié par

l'équipe japonaise du professeur Yasuhiro Kato, de l'université de Tokyo et des chercheurs de

l'agence japonaise des Sciences et des technologies marines et terrestres.

* 30 Rapport n° 616 du 27 juin 2012 de M. Serge Larcher sur la proposition de résolution

européenne de MM. Maurice Antiste, Charles Revet et Serge Larcher visant à obtenir la prise en

compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

* 31 Interdiction des aides à la production de navires, de construction de dispositifs de

concentration de poissons (DCP) ancrés collectifs et de subventions d'aides au fonctionnement.

* 32 La situation de la pêche dans les RUP est très dif érente de celle sur les côtes européennes.

Par exemple seule une espèce ultramarine, la crevette guyanaise, relève des quotas instaurés par

la PCP.

* 33 En mars 2012 il a ainsi déclaré que « dans le cadre des relations bilatérales qu'elle entretient

avec des États tiers dans le domaine de la pêche et qui prévoient une contrepartie financière,

l'Union doit (...) prendre en considération les intérêts des régions ultrapériphériques de l'Union

situées dans le voisinage des États côtiers ».

* 34 Rapport op. cit. p. 26.

* 35 Depuis la loi organique n° 2013­1027 du 15 novembre 2013.

 

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Solidarités Contre l'Université de la Défense (SCUD)
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